Simenon, Georges - Maigret chez les Flamands Страница 10

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Simenon, Georges - Maigret chez les Flamands

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Quand Maigret descendit du train, en gare de Givet, la première personne qu'il vit, juste en face de son compartiment, fut Anna Peeters. à croire qu'elle avait prévu qu'il s'arrêterait à cet endroit du quai exactement !


Elle n'en paraissait pas étonnée, ni fière. Elle était telle qu'il l'avait vue à Paris, telle qu'elle devait être toujours, vêtue d'un tailleur gris fer, les pieds chaussés de noir, chapeautée de telle sorte qu'il était impossible de se souvenir ensuite de la forme ou même de la couleur de son chapeau.


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— Hier.

Alors elle expliqua au commissaire :

— C’est le camarade avec qui il a passé la soirée du 3 janvier dans un café à Nancy… Il était parti pour Marseille, il y a une dizaine de jours, à la suite de la mort de sa mère… Il vient de revenir…

— À votre santé ! répondit Maigret en vidant son verre.

Et il prit la bouteille, se servit à nouveau. De temps en temps la sonnette tintait. Ou bien on entendait le bruit d’une petite pelle qui versait du sucre dans un sac de papier et le heurt de la balance.

— Votre sœur ne va pas mieux ?

— On croit qu’elle pourra se lever lundi ou mardi. Mais elle ne reviendra sans doute pas ici pour longtemps.

— Elle se marie ?

— Non ! Elle veut se faire religieuse. C’est une idée qu’elle caresse depuis longtemps.

À quoi Maigret reconnut-il qu’il se passait quelque chose dans la boutique ? Les bruits étaient les mêmes, peut-être moins forts. L’instant d’après, pourtant, Mme Peeters parlait français.

— Vous les trouverez dans le salon…

Des portes ouvertes et fermées. L’inspecteur Machère qui s’arrêtait sur le seuil, très animé, faisant un effort pour rester calme et qui regardait le commissaire attablé devant son verre de genièvre.

— Qu’est-ce que c’est, Machère ?

— Le… Je voudrais vous dire deux mots en particulier.

— À propos de quoi ?

— Du…

Il hésitait à parler, esquissait des signes d’intelligence que tout le monde comprenait.

— Ne te gêne pas.

— C’est le marinier…

— Il est revenu ?

— Non… Il…

— Il a fait des aveux ?

Machère était au supplice. Il venait pour une communication qu’il considérait comme de la plus haute importance et qu’il voulait secrète et on l’obligeait à parler devant trois personnes !

— Il… On a retrouvé sa casquette et son veston…

— Le vieux ou le neuf ?

— Je ne comprends pas.

— Est-ce son veston des dimanches, en drap bleu, qu’on a retrouvé ?

— En drap bleu, oui… Sur la berge…

Tout le monde se taisait. Anna, qui était debout, regardait l’inspecteur sans qu’un trait de son visage tressaillît. Joseph Peeters se caressait les mains avec énervement.

— Continue !

— Il a dû se jeter dans la Meuse… Sa casquette a été repêchée près de la péniche qui était juste derrière lui… La péniche l’a arrêtée. Comprenez-vous ?…

— Ensuite ?

— Quant au veston, il était sur la berge… Et il y avait ce papier épinglé…

Il le tira de son portefeuille avec précaution. C’était un bout de papier informe, détrempé par la pluie. C’est à peine si l’on pouvait encore lire :

Je suis une crapule. J’aime encore mieux la rivière…

 

Maigret avait lu à mi-voix. Joseph Peeters questionna d’une voix troublée :

— Je ne comprends pas… Qu’est-ce qu’il veut dire ?…

Machère restait debout, dérouté, mal à l’aise. Marguerite regardait chaque personnage tour à tour de ses grands yeux inexpressifs.

— Je crois que c’est vous qui… commença l’inspecteur.

Et Maigret se levait, cordial, avec un sourire de bonne compagnie aux lèvres. Il s’adressait plus particulièrement à Anna.

— Vous voyez !… Je vous parlais tout à l’heure d’un marteau…

— Taisez-vous !… supplia Marguerite.

— Qu’est-ce que vous faites, demain après-midi ?

— Comme tous les dimanches… Nous restons en famille… Il ne manquera que Maria…

— Vous permettez que je vienne vous présenter mes hommages ? Peut-être y aura-t-il de cette excellente tarte au riz ?

Et Maigret se dirigea vers le corridor où il endossa son pardessus que la pluie rendait deux fois plus lourd.

— Vous m’excuserez… balbutiait Machère. C’est le commissaire qui a voulu…

— Viens !

Dans la boutique, Mme Peeters s’était hissée sur un escabeau pour prendre, dans la plus haute case, un paquet d’amidon. Une femme de marinier attendait, l’air morne, un filet à provisions au bras.

VIII

La visite aux ursulines

Il y avait un petit groupe de gens près de l’endroit où l’on avait repêché la casquette, mais le commissaire, entraînant Machère, marcha dans la direction du pont.

— Vous ne m’aviez pas parlé de ce marteau… Sinon, il est évident que…

— Qu’as-tu fait toute la journée ?

Et l’inspecteur eut la mine d’un écolier pris en faute.

— Je suis allé à Namur… Je voulais m’assurer que l’entorse de Maria Peeters…

— Eh bien ?

— On n’a pas voulu me laisser entrer… Je suis tombé dans un couvent de religieuses qui me regardaient comme un hanneton échoué dans la soupe…

— Tu as insisté ?

— J’ai même menacé.

Maigret réprimait un sourire amusé. Près du pont, il pénétra dans un garage qui faisait la location de voitures et il en demanda une avec chauffeur pour se rendre à Namur.

Cinquante kilomètres aller et cinquante kilomètres retour, le long de la Meuse.

— Tu viens avec moi ?

— Vous voulez ?… Puisque je vous dis qu’on ne vous recevra pas… Sans compter que maintenant qu’on a trouvé le marteau…

— Bon ! Fais autre chose. Prends une auto aussi. Va dans toutes les petites gares qui se trouvent dans un rayon de vingt kilomètres. Assure-toi que le marinier n’y a pas pris le train…

Et la voiture de Maigret démarra. Bien calé dans les coussins, le commissaire fuma béatement sa pipe, ne voyant du paysage que quelques lumières qui étoilaient les deux côtés de la voiture.

Il savait que Maria Peeters était régente dans une école tenue par les ursulines. Il savait aussi que celles-ci sont, dans la hiérarchie religieuse, l’équivalent des jésuites, c’est-à-dire qu’elles forment en quelque sorte l’aristocratie enseignante. L’école de Namur devait être fréquentée par tout le haut gratin de la province.

Dès lors, c’était amusant d’imaginer l’inspecteur Machère en discussion avec les religieuses, insistant pour entrer et surtout employant la menace !

« J’ai oublié de lui demander comment il les avait appelées… songea Maigret. Il a dû dire : mesdames… Ou encore : ma bonne sœur… »

Maigret était grand, lourd, large d’épaules, épais de traits. Pourtant, quand il sonna à la porte du couvent, dans une petite rue provinciale où de l’herbe poussait entre les pavés, la sœur converse qui lui ouvrait ne s’effaroucha pas le moins du monde.

— Je voudrais parler à la Révérende Mère ! dit-il.

— Elle est à la chapelle. Mais, dès que le salut sera fini…

Et il fut introduit dans un parloir à côté duquel la salle à manger des Peeters n’était que malpropreté et désordre. Ici, on se voyait vraiment dans le parquet comme dans un miroir. On sentait surtout que les moindres objets étaient immuables, que les chaises occupaient chacune la même place depuis des années, que la pendule de la cheminée ne s’était jamais arrêtée, n’avait jamais ni avancé ni retardé.

Dans les couloirs aux dalles somptueuses, des pas glissants, parfois des chuchotements. Enfin, très doux, lointain, un chant d’orgues.

Les gens du Quai des Orfèvres eussent sans doute été étonnés de voir un Maigret très à son aise. Lorsque la Supérieure entra, il la salua discrètement, en l’appelant par le nom que l’on doit donner aux ursulines, c’est-à-dire en disant :

— Ma mère…

Elle attendait, les mains dans les manches.

— Je m’excuse de vous déranger, mais je voudrais vous demander l’autorisation de rendre visite à une de vos institutrices… Je sais que la règle s’y oppose… Néanmoins, comme il s’agit de la vie ou tout au moins de la liberté de quelqu’un…

— Vous êtes de la police aussi ?

— Vous avez reçu la visite d’un inspecteur, je crois ?

— Un monsieur se disant de la police, qui a fait du bruit et est parti en criant qu’on aurait de ses nouvelles…

Maigret l’excusa, resta calme, poli, déférent. Il prononça quelques phrases adroites et un peu plus tard une sœur converse était chargée de prévenir Maria Peeters qu’on la demandait.

— Une jeune fille de grand mérite, je crois, ma mère ?

— Je ne peux dire d’elle que le plus grand bien. Au début, nous avions hésité à la prendre, M. l’aumônier et moi, à cause du commerce de ses parents… Pas l’épicerie… Mais le fait que l’on sert à boire… Nous avons passé là-dessus et nous n’avons qu’à nous en louer… Hier, en descendant un escalier, elle s’est tordu la cheville et depuis lors elle est au lit, très abattue, car elle sait que cela nous met dans l’embarras…

La sœur converse revenait. Maigret la suivit le long d’interminables couloirs. Il rencontra plusieurs groupes d’élèves habillées toutes de la même manière : robe noire à petits plis et ruban de soie bleu autour du cou.

Enfin, au deuxième étage, une porte s’ouvrit. La converse se demanda si elle devait partir ou rester.

— Laissez-nous, ma sœur…

Une petite chambre toute simple. Des murs peints à l’huile, ornés de lithographies religieuses à cadre noir et d’un grand crucifix.

Un lit de fer. Une forme maigre à peine perceptible sous la couverture.

Maigret ne voyait pas de visage. On ne lui disait rien. La porte refermée, il resta un bon moment immobile, embarrassé de son chapeau mouillé, de son épais manteau.

Enfin il entendit un sanglot étouffé. Mais Maria Peeters se cachait toujours la tête dans les couvertures et restait tournée vers le mur.

— Calmez-vous… murmura-t-il machinalement. Votre sœur Anna a dû vous dire que je suis plutôt un ami…

Mais cela ne calmait pas la jeune fille. Au contraire ! Son corps était agité maintenant par de véritables spasmes nerveux.

— Qu’est-ce que le docteur a dit ?… En avez-vous pour longtemps à garder le lit ?…

C’était gênant de parler ainsi à une personne invisible. Surtout que Maigret ne la connaissait même pas !

Les sanglots s’espaçaient. Elle devait reprendre son sang-froid. Elle reniflait et sa main chercha un mouchoir sous l’oreiller.

— Pourquoi êtes-vous aussi nerveuse ? La Révérende Mère vient de me dire tout le bien qu’elle pense de vous !

— Laissez-moi ! supplia-t-elle.

Et au même moment on frappait à la porte, la Révérende Mère entrait, comme si elle eût attendu le moment d’intervenir.

— Excusez-moi ! Je sais notre pauvre Maria si sensible…

— Elle a toujours été ainsi ?

— C’est une nature délicate… Quand elle a su que son entorse allait l’immobiliser et qu’elle serait au moins une semaine sans pouvoir donner ses cours, elle a eu une crise de désespoir… Montrez-nous votre visage, Maria…

Et la tête de la jeune fille fit de grands signes de dénégation.

— Nous savons, bien entendu, poursuivit la Supérieure, quelles sont les accusations que des gens portent sur sa famille. J’ai fait célébrer trois messes pour que la vérité ne tarde pas à éclater… Je viens encore de prier pour vous au salut, Maria…

Elle montra enfin son visage. Un petit visage tout maigre, tout pâle, avec des taches rouges produites par la fièvre et par les larmes.

Elle ne ressemblait pas du tout à Anna, mais plutôt à sa mère, dont elle avait les traits fins mais malheureusement si irréguliers qu’elle ne pouvait passer pour jolie. Le nez était trop long, pointu, la bouche grande et mince.

— Je vous demande pardon !… dit-elle en se tamponnant les yeux de son mouchoir. Je suis trop nerveuse… Et l’idée que je suis couchée ici tandis que… Vous êtes le commissaire Maigret ?… Vous avez vu mon frère ?…

— Je l’ai quitté il y a moins d’une heure. Il était chez vous, avec Anna et votre cousine Marguerite…

— Comment est-il ?

— Très calme… Il a confiance…

Allait-elle recommencer à pleurer ? La Révérende Mère encourageait Maigret du regard. Elle était heureuse de le voir parler ainsi, avec un calme, une autorité qui ne pouvaient qu’impressionner favorablement une malade.

— Anna m’a annoncé que vous étiez décidée à prendre le voile…

Maria pleurait à nouveau. Elle n’essayait même pas de s’en cacher. Elle n’avait aucune coquetterie et elle montrait son visage luisant, tuméfié.

— C’est une décision que nous attendions depuis longtemps, murmura la Supérieure. Maria appartient davantage à la religion qu’au monde…

La crise recommençait, les sanglots éclataient, douloureux, dans la gorge maigre. Et le corps s’agitait toujours, les mains s’agrippaient à la couverture.

— Vous voyez que j’ai bien fait, tout à l’heure, de ne pas laisser monter ce monsieur !… disait tout bas la religieuse.

Maigret était toujours debout, dans son pardessus qui l’épaississait encore. Il regardait ce petit lit, cette jeune fille affolée.

— Le médecin l’a vue ?

— Oui… Il dit que l’entorse n’est rien… Le plus grave, c’est la crise nerveuse qui s’est déclarée ensuite… Voulez-vous que nous la laissions ?… Calmez-vous, Maria… Je vais vous envoyer Mère Julienne, qui restera près de vous…

La dernière image recueillie par Maigret fut la blancheur du lit, des cheveux épars sur l’oreiller et un œil qui le fixait tandis qu’à reculons il se dirigeait vers la porte.

Dans le corridor, la Supérieure parlait bas, glissait sur le plancher ciré.

— Elle n’a jamais eu beaucoup de santé… Ce scandale a ébranlé ses nerfs et c’est certainement à son agitation qu’il faut imputer la chute qu’elle a faite dans l’escalier… Elle a honte pour son frère, pour les siens… Elle m’a dit plusieurs fois qu’après cela notre ordre ne l’admettrait plus dans son sein… Des heures durant elle reste prostrée, à fixer le plafond, sans prendre la moindre nourriture… Puis, sans raison apparente, une crise éclate… On lui fait des piqûres pour la remonter…

Ils étaient arrivés au rez-de-chaussée.

— Est-ce que je peux vous demander ce que vous pensez de cette affaire, monsieur le commissaire ?

— Vous le pouvez, mais je serais bien embarrassé de vous répondre… En toute conscience, je vous affirme que je ne sais rien… Demain seulement…

— Vous croyez que demain ?…

— Il ne me reste, ma mère, qu’à vous remercier et à m’excuser de cette visite… Peut-être me permettrai-je de vous téléphoner pour prendre des nouvelles ?…

Il était enfin dehors. Il respirait l’air frais, saturé de pluie. Il retrouvait son taxi arrêté au bord du trottoir.

— À Givet !

Et il bourra voluptueusement sa pipe, se coucha presque au fond de la voiture. À un tournant, aux environs de Dinant, il aperçut un poteau indicateur : Grottes de Rochefort…

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