Simenon, Georges - Liberty Bar Страница 14

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Simenon, Georges - Liberty Bar

Simenon, Georges - Liberty Bar краткое содержание

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Cela commença par une sensation de vacances. Quand Maigret descendit du train, la moitié de la gare d'Antibes était baignée d'un soleil si lumineux qu'on n'y voyait les gens s'agiter que comme des ombres. Des ombres portant chapeau de paille, pantalon blanc, raquette de tennis. L'air bourdonnait. Il y avait des palmiers, des cactus en bordure du quai, un pan de mer bleue au-delà de la lampisterie. Et tout de suite quelqu'un se précipita. - Le commissaire Maigret, je pense ? Je vous reconnais grâce à une photo qui a paru dans les journaux... Inspecteur Boutigues...


Boutigues ! Rien que ce nom-là avait l'air d'une farce ! Boutigues portait déjà les valises de Maigret, l'entraînait vers le souterrain. Il avait un complet gris perle, un œillet rouge à la boutonnière, des souliers à tiges de drap. - C'est la première fois que vous venez à Antibes ?


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Plus personne dans le bar ! La maison vide ! La porte fermée…

Ils couraient les uns après les autres…

— Savez-vous où elle l’attendait ?… À l’Hôtel Beauséjour… Et moi, dans la rue, j’allais et je venais comme une folle… J’avais envie de frapper à leur porte, de supplier Sylvie de me le rendre… Au coin de la rue, il y a un marchand de couteaux… Et pendant qu’ils… pendant qu’ils étaient là-haut, je regardais la vitrine… Je ne savais plus… J’avais mal partout… Je suis entrée… J’ai acheté un couteau à cran d’arrêt… Je crois bien que je pleurais…

« Puis ils sont sortis ensemble… William était tout changé, comme rajeuni… Même qu’il a poussé Sylvie dans une confiserie et qu’il a acheté une boîte de chocolats…

« Ils se sont quittés devant le garage…

« Et c’est alors que je me suis mise à courir… Je savais qu’il allait retourner à Antibes… Je me suis placée sur son chemin, juste en dehors de la ville… Il commençait à faire noir… Il m’a vue… Il a arrêté l’auto…

« Et j’ai crié :

« — Tiens !… Tiens !… Voilà pour toi !… Et voilà pour elle !…

Elle retomba sur son lit, le corps recroquevillé, le visage baigné de larmes et de sueur.

— Je ne sais même pas comment il est parti… Il a dû me repousser, fermer la portière…

« J’étais toute seule au milieu de la route et j’ai failli être écrasée par un autobus… Je n’avais plus le couteau… Peut-être qu’il était resté dans l’auto…

Le seul détail auquel Maigret n’eût pas pensé : le couteau que William Brown, les yeux déjà voilés, avait sans doute eu la présence d’esprit de jeter dans un fourré !

— Je suis rentrée tard…

— Oui… Les bistrots…

— Je me suis réveillée dans mon lit, toute malade…

Et, dressée à nouveau :

— Mais je n’irai pas à Haguenau !… Je n’irai pas !… Vous pouvez tous essayer de m’y conduire !… Le docteur l’a dit : je vais crever… Et c’est cette pu…

Il y eut un bruit de chaise remuée. C’était Sylvie qui attirait un siège jusqu’à elle et qui s’y évanouissait, assise de travers.

Un évanouissement lent, progressif, mais qui n’était pas simulé. Ses narines étaient pincées, cernées de jaune. Et les orbites étaient creuses.

— C’est bien fait pour elle !… cria Jaja. Laissez-la !… Ou plutôt non… Je ne sais pas… Je ne sais plus… C’est peut-être Joseph qui a tout organisé… Sylvie !… Ma petite Sylvie…

Maigret s’était penché sur la jeune femme. Il lui tapotait les mains, les joues.

Il voyait Jaja saisir la bouteille et boire à nouveau, pomper littéralement l’alcool qui la fit tousser éperdument.

Puis la grosse poupée soupira, enfonça sa tête dans l’oreiller.

Alors seulement il prit Sylvie dans ses bras, la descendit au rez-de-chaussée, lui mouilla les tempes d’eau fraîche.

La première chose qu’elle dit en ouvrant les yeux fut :

— Ce n’est pas vrai…

Un désespoir profond, absolu.

— Je veux que vous sachiez que ce n’est pas vrai… Je n’essaie pas de me faire meilleure que je suis… Mais ce n’est pas vrai… J’aime bien Jaja !… C’est lui qui voulait… Est-ce que vous comprenez ?… Il y avait des mois qu’il me regardait avec des yeux bouleversés… Il me suppliait… Est-ce que je pouvais refuser, alors que tous les soirs, avec d’autres…

— Chut ! Plus bas…

— Elle peut m’entendre ! Et, si elle réfléchissait, elle comprendrait… Je n’ai même rien voulu dire à Joseph, par crainte qu’il en profite… Je lui ai donné un rendez-vous…

— Un seul ?

— Un seul… Vous voyez !… C’est vrai qu’il m’a acheté des chocolats… Il était tout fou… Si fou que cela me faisait peur… Il me traitait comme une jeune fille…

— C’est tout ?

— Je ne savais pas que c’était Jaja qui l’avait… Non ! Je le jure ! Je croyais plutôt que c’était Joseph… J’avais peur… Il m’a dit que je devais retourner au Beauséjour, où quelqu’un me remettrait de l’argent…

Et, plus bas :

— Qu’est-ce que je pouvais faire ?

On entendait à nouveau gémir, là-haut. Les mêmes gémissements que tout à l’heure.

— Elle est très grièvement blessée ?

Maigret haussa les épaules, monta au premier étage, vit que Jaja dormait et que c’était dans son sommeil accablant qu’elle gémissait de la sorte.

Il redescendit, trouva Sylvie qui, les nerfs tendus, guettait les bruits de la maison.

— Elle dort ! souffla-t-il. Chut !…

Sylvie ne comprenait pas, regardait avec effroi Maigret qui bourrait une nouvelle pipe.

— Restez près d’elle… Quand elle se réveillera, vous lui direz que je suis parti… pour toujours…

— Mais…

— Vous lui direz qu’elle a rêvé, qu’elle a eu des cauchemars, que…

— Mais… Je ne comprends pas… Et Joseph ?

Il la regarda dans les yeux. Il avait les mains dans les poches. Il en retira les vingt billets qui s’y trouvaient toujours.

— Vous l’aimez ?

Et elle :

— Vous savez bien qu’il faut un homme ! Sinon…

— Et William ?

— Ce n’était pas la même chose… Il était d’un autre monde… Il…

Maigret marchait vers la porte. Il se retourna une dernière fois, tout en agitant la clé dans la serrure.

— Arrangez-vous pour qu’on ne parle plus du Liberty-Bar… Compris ?…

La porte était ouverte sur l’air froid du dehors. Car il s’exhalait du sol une humidité qui ressemblait à un brouillard.

— Je ne vous croyais pas comme ça… balbutia Sylvie, qui ne savait plus que dire. Je… Jaja… Je vous jure que c’est la meilleure femme de la terre…

Il se retourna, haussa les épaules, se mit en marche dans la direction du port, s’arrêta un peu plus loin que le réverbère pour rallumer sa pipe éteinte.

XI

Une histoire d’amour

Maigret décroisa les jambes, regarda son interlocuteur dans les yeux, lui tendit une feuille de papier timbré.

— Je peux ?… questionna Harry Brown avec un regard anxieux vers la porte derrière laquelle étaient son secrétaire et sa dactylo.

— C’est à vous.

— Remarquez que je suis prêt à leur donner une indemnité… Cent mille francs chacune par exemple… Vous me comprenez bien ?… Ce n’est pas une question d’argent : c’est une question de scandale… Si ces quatre femmes venaient là-bas et…

— Je comprends.

Par la fenêtre, on apercevait la plage de Juan-les-Pins, cent personnes en maillot étendues sur le sable, trois jeunes femmes qui faisaient de la culture physique avec un long et maigre professeur, et un Algérien qui allait d’un groupe à l’autre avec un panier de cacahuètes.

— Est-ce que vous croyez que cent mille francs…

— Très bien ! dit Maigret en se levant.

— Vous n’avez pas bu votre verre.

— Merci.

Et Harry Brown, correct, pommadé, hésitait un instant, risquait :

— Voyez-vous, monsieur le commissaire, j’ai cru un moment que vous étiez un ennemi… En France…

— Oui…

Maigret se dirigeait vers la porte. L’autre le suivait en continuant avec moins d’assurance :

— … Le scandale n’a pas la même importance que dans…

— Bonsoir, monsieur !

Et Maigret s’inclina, sans tendre la main, sortit de l’appartement où se brassaient des affaires de laine.

— En France… En France… grommelait le commissaire en descendant l’escalier garni de tapis pourpres.

Eh bien ! quoi, en France ? Comment s’appelait la liaison de Harry Brown avec la veuve ou la divorcée du cap Ferrat ?

Une histoire d’amour !

Alors… L’histoire de William, avec Jaja, avec Sylvie ?…

Et Maigret, le long de la plage, était obligé de contourner des corps demi-nus. Il évoluait parmi des peaux bronzées, que mettaient en valeur des maillots colorés.

Boutigues l’attendait près de la cabine du professeur de culture physique.

— Eh bien ?

— Fini !… William Brown a été tué par un malfaiteur inconnu qui voulait lui voler son portefeuille…

— Mais pourtant…

— Quoi ?… Pas d’histoires !… Alors…

— Cependant…

— Pas d’histoires ! répéta Maigret en regardant l’eau bleue, toute plate, sur laquelle des canoës évoluaient. Est-ce qu’il y a place, ici, pour des histoires ?

— Vous voyez cette jeune femme en costume de bain vert ?

— Elle a les cuisses maigres.

— Eh bien ! s’écria Boutigues, triomphant, vous ne devineriez jamais qui elle est… La fille de Morrow…

— Morrow ?

— L’homme du diamant… Une des dix ou douze fortunes qui…

Le soleil était chaud. Maigret, en complet sombre, faisait tache parmi les peaux nues. De la terrasse du Casino arrivaient des flots de musique.

— Vous prenez quelque chose ?

Boutigues, lui, était en gris clair, arborait un œillet rouge à sa boutonnière.

— Je vous avais bien dit qu’ici…

— Oui… Ici…

— Vous n’aimez pas le pays ?

Et d’un geste lyrique il montrait la baie d’un bleu inouï, le cap d’Antibes et ses villas claires blotties dans la verdure, le Casino jaune comme un chou à la crème, les palmiers de la promenade…

— Le gros que vous voyez là-bas, avec un petit maillot de bain rayé, est le plus important directeur de journal allemand…

Lors Maigret, dont les yeux étaient d’un gris glauque, après une nuit sans sommeil, de grogner :

— Et puis après ?

— Tu es content que j’aie fait de la morue à la crème ?

— Tu ne peux pas t’imaginer à quel point ! Boulevard Richard-Lenoir. L’appartement de Maigret.

Une fenêtre ouvrant sur de maigres marronniers que ne garnissaient encore que quelques feuilles.

— Qu’est-ce que c’était, cette histoire ?

— Une histoire d’amour ! Mais, comme on m’avait dit : « Pas d’histoires »…

Les deux coudes sur la table, il mangeait sa morue avec appétit. Il parlait la bouche pleine.

— Un Australien qui en a eu assez de l’Australie et des moutons…

— Je ne comprends pas.

— Un Australien qui a eu envie de faire la bombe et qui l’a faite…

— Après ?

— Après ?… Rien !… Il l’a faite et sa femme, ses enfants et son beau-frère lui ont coupé les vivres…

— Ce n’est pas intéressant !

— Pas du tout ! C’est ce que je disais… Il a continué à vivre là-bas, sur la Côte…

— Il paraît que c’est si beau…

— Magnifique !… Il a loué une villa… Puis, comme il y était tout seul, il y a amené une femme…

— Je commence à comprendre !

— Rien du tout… Passe-moi la sauce… Il y a trop peu d’oignons.

— Ce sont les oignons de Paris qui n’ont aucun goût… J’en ai mis une livre… Continue…

— La femme s’est installée dans la villa et y a installé sa mère…

— Sa mère ?

— Oui… Alors, cela n’a plus eu aucun charme, et l’Australien est allé chercher de l’amusement ailleurs…

— Il a pris une maîtresse ?

— Pardon ! Il en avait déjà une ! Et sa mère. Il a déniché un bistrot et une bonne vieille qui buvait avec lui…

— Qui buvait ?

— Oui ! Quand ils avaient bu, ils voyaient le monde autrement… Ils en étaient le centre… Ils se racontaient des histoires…

— Et après ?

— La bonne vieille croyait que c’était arrivé.

— Qu’est-ce qui était arrivé ?

— Que quelqu’un l’aimait !… Qu’elle avait trouvé l’âme sœur !… Et tout !…

— Et tout quoi ?

— Rien… Cela faisait un couple ! Un couple du même âge… Un couple qui arrivait à se soûler en mesure…

— Qu’est-il arrivé ?

— Il y avait une petite protégée… Une nommée Sylvie… Le vieux s’est amouraché de Sylvie…

Mme Maigret regarda son mari avec reproche.

— Qu’est-ce que tu me racontes ?

— La vérité ! Il s’est amouraché de Sylvie, et Sylvie ne voulait pas, à cause de la vieille… Puis elle a bien dû vouloir, parce que, quand même, l’Australien était le principal personnage.

— Je ne saisis pas…

— Cela ne fait rien… L’Australien et la petite se sont retrouvés à l’hôtel…

— Ils ont trompé la vieille ?

— Justement. Tu vois que tu comprends ! Alors, la vieille, qui a compris, elle, qu’elle ne comptait plus pour rien du tout, a tué son amant… Cette morue est une merveille…

— Je ne comprends pas encore…

— Qu’est-ce que tu ne comprends pas ?

— Pourquoi on n’a pas arrêté la vieille. Car, en somme, elle a…

— Rien du tout !

— Comment, rien du tout ?

— Passe-moi le plat… On m’avait dit : « Surtout, pas d’histoires… » Pas de drame, autrement dit ! Parce que les fils, la femme et le beau-frère de l’Australien sont des gens considérables… Des gens capables de racheter très cher un testament…

— Qu’est-ce que tu racontes maintenant avec ce testament ?

— Ce serait trop compliqué… Bref, une histoire d’amour… Une vieille femme qui tue son vieil amant parce qu’il la trompe avec une jeune.

— Et qu’est-ce qu’elles sont devenues ?

— La vieille en a pour trois ou quatre mois à vivre… Cela dépend de ce qu’elle boira…

— De ce qu’elle boira ?

— Oui… Parce que c’est aussi une histoire d’alcool…

— C’est compliqué !

— Encore plus que tu ne le crois ! La vieille, qui a tué, mourra dans trois ou quatre mois, ou cinq, ou six, les jambes enflées, les pieds dans un baquet.

— Dans un baquet ?

— Vois, dans le dictionnaire de médecine, comment on meurt de l’hydropisie…

— Et la jeune ?

— Elle est encore plus malheureuse… Parce qu’elle aime la vieille comme une mère… Puis parce qu’elle aime son maquereau…

— Son ?… Je ne te comprends pas… Tu as des façons de t’exprimer…

— Et le maquereau va perdre les vingt mille francs aux courses ! poursuivit Maigret, imperturbable, sans cesser de manger.

— Quels vingt mille francs ?

— Peu importe !

— Je m’y perds !

— Moi aussi… Ou plutôt, moi, je comprends trop… On m’a dit : « Pas d’histoires »… C’est tout !… On n’en parlera plus… Une pauvre histoire d’amour qui a tourné mal…

Et soudain :

— Il n’y a pas de légume ?

— J’ai voulu faire des choux-fleurs, mais…

Et Maigret paraphrasa à part lui :

— Jaja a voulu faire de l’amour, mais…

Marsilly, « La Richardière », mai 1932.

FIN

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