Simenon, Georges - Le port des brumes Страница 2

Тут можно читать бесплатно Simenon, Georges - Le port des brumes. Жанр: Детективы и Триллеры / Полицейский детектив, год неизвестен. Так же Вы можете читать полную версию (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте «WorldBooks (МирКниг)» или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
Simenon, Georges - Le port des brumes

Simenon, Georges - Le port des brumes краткое содержание

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Quand on avait quitté Paris, vers trois heures, la foule s’agitait encore dans un frileux soleil d’arrière-saison. Puis, vers Mantes, les lampes du compartiment s’étaient allumées. Dès Evreux, tout était noir dehors. Et maintenant, à travers les vitres où ruisselaient des gouttes de buée, on voyait un épais brouillard qui feutrait d’un halo les lumières de la voie. Bien calé dans son coin, la nuque sur le rebord de la banquette, Maigret, les yeux mi-clos, observait toujours, machinalement, les deux personnages, si différents l’un de l’autre, qu’il avait devant lui. Le capitaine Joris dormait, la perruque de travers sur son fameux crâne, le complet fripé. Et Julie, les deux mains sur son sac en imitation de crocodile, fixait un point quelconque de l’espace, en essayant de garder, malgré sa fatigue, une attitude réfléchie. Joris ! Julie !


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Elle regarde à la dérobée le capitaine qui s’est assis dans son fauteuil. Ce spectacle lui fait si mal qu’elle détourne la tête, bégaie pour changer le cours de ses pensées :

— Je vais vous préparer la chambre d’ami.

Et c’est entrecoupé de sanglots. Elle décroche un tablier blanc, au mur, pour s’essuyer les yeux.

— Je préfère m’installer à l’hôtel. Je suppose qu’il y en a un…

Elle regarde une petite pendule de faïence comme celles que l’on gagne dans les foires et dont le tic-tac fait partie des dieux lares de la maison.

— Oui ! À cette heure-ci, vous trouverez encore quelqu’un. C’est de l’autre côté de l’écluse, juste derrière l’estaminet que vous avez aperçu…

Pourtant, elle est sur le point de le retenir. Elle paraît avoir peur de se trouver seule avec le capitaine, qu’elle n’ose plus regarder.

— Vous croyez qu’il n’y a personne dans la maison ?

— Vous avez pu vous en rendre compte vous-même !

— Vous reviendrez demain matin ?

Elle le reconduit jusqu’à la porte, qu’elle referme vivement. Et Maigret, lui, plonge dans une brume tellement dense qu’il ne voit pas où il pose les pieds. Il trouve néanmoins la grille. Il sent qu’il marche dans l’herbe, puis sur les cailloux du chemin. En même temps il perçoit une clameur lointaine qu’il est longtemps avant d’identifier.

Cela ressemble au beuglement d’une vache, mais en plus désolé, en plus tragique.

— Imbécile ! grommelle-t-il entre ses dents. C’est tout bonnement la corne de brume…

Il se repère mal. Il voit, à pic sous ses pieds, de l’eau qui paraît fumer. Il est sur le mur de l’écluse. Il entend quelque part grincer des manivelles. Il ne se souvient plus de l’endroit où il a traversé l’eau avec l’auto et, avisant une étroite passerelle, il va s’y engager…

— Attention !…

C’est stupéfiant ! Parce que la voix est toute proche ! Alors que la sensation de solitude est complète, il y a un homme à moins de trois mètres de lui, et c’est à peine si, en cherchant bien, il devine sa silhouette.

Il comprend tout de suite l’avertissement. La passerelle sur laquelle il allait s’engager bouge. C’est la porte même de l’écluse qu’on ouvre, et le spectacle devient plus hallucinant encore parce que, tout près, à quelques mètres, ce n’est plus un homme qui surgit, mais un véritable mur, haut comme une maison. Au-dessus de ce mur, des lumières que tamise le brouillard.

Un navire qui passe à portée de la main du commissaire ! Une aussière tombe près de lui et quelqu’un la ramasse, la porte jusqu’à une bitte où il la capelle.

— En arrière !… Attention !… crie une voix, là-haut, sur la passerelle du vapeur.

Quelques secondes auparavant tout semblait mort, désert. Et maintenant Maigret, qui marche le long de l’écluse, s’aperçoit que le brouillard est plein de formes humaines. Quelqu’un tourne une manivelle. Un autre court avec une seconde amarre. Des douaniers attendent que la passerelle soit jetée pour monter à bord.

Tout cela sans rien voir, dans le nuage humide qui accroche des perles aux poils des moustaches.

— Vous voulez passer ?

C’est tout près de Maigret. Une autre porte d’écluse.

— Faites vite, parce qu’après vous en avez pour un quart d’heure…

Il traverse en se tenant à la main courante, entend l’eau bouillonner sous ses pieds et, toujours au loin, les hurlements de la sirène. Plus il avance et plus cet univers de brume se remplit, grouille intensément d’une vie mystérieuse. Un point lumineux l’attire. Il s’approche et il voit alors un pêcheur, dans une barque amarrée au quai, qui abaisse et relève un grand filet retenu par des perches.

Le pêcheur le regarde sans curiosité, se met à trier dans un panier du menu poisson.

Autour du navire, le brouillard, plus lumineux, permet de distinguer les allées et venues. Sur le pont, on parle anglais. Un homme en casquette galonnée, au bord du quai, vise des papiers.

Le chef du port ! Celui qui remplace maintenant le capitaine Joris !

Un petit homme aussi, mais plus maigre, plus sautillant, qui plaisante avec les officiers du navire.

En somme, l’univers se réduit à quelques mètres carrés de clarté relative et à un grand trou noir où l’on devine de la terre ferme et de l’eau. La mer est là-bas, à gauche, à peine bruissante.

N’est-ce pas un soir tout pareil que Joris a soudain disparu de la circulation ? Il visait des papiers, comme son collègue. Il plaisantait sans doute. Il surveillait l’éclusée, les manœuvres. Il n’avait pas besoin de voir. Quelques bruits familiers lui suffisaient. De même que nul ici ne regarde où il marche !

Maigret, qui vient d’allumer une pipe, se renfrogne, parce qu’il n’aime pas se sentir gauche. Il s’en veut de sa lourdeur de terrien qu’effraie ou émerveille tout ce qui touche à la mer.

Les portes de l’écluse s’ouvrent. Le bateau s’engage dans un canal un peu moins large que la Seine à Paris.

— Pardon ! Vous êtes le capitaine du port ?… Commissaire Maigret, de la Police judiciaire… Je viens de ramener votre collègue.

— Joris est ici ?… C’est donc bien lui ?… On m’en a parlé ce matin… Mais c’est vrai qu’il est… ?

Un petit geste du doigt, qui touche le front.

— Pour l’instant, oui ! Vous passez toute la nuit au port ?

— Jamais plus de cinq heures à la fois… Une marée, quoi ! Il y a cinq heures par marée pendant lesquelles les bateaux ont assez d’eau pour pénétrer dans le canal ou pour prendre la mer… L’heure varie tous les jours… Aujourd’hui, nous venons de commencer et nous en avons jusqu’à trois heures du matin…

L’homme est très simple. Il traite Maigret en collègue, étant en définitive un fonctionnaire comme lui.

— Vous permettez ?…

Il regarde du côté du large où on ne voit rien. Et pourtant il prononce :

— Un voilier de Boulogne qui s’est amarré aux pilotis en attendant l’ouverture des portes…

— Les bateaux vous sont annoncés ?

— La plupart du temps. Surtout les vapeurs. Ils font presque tous un trafic régulier, amenant du charbon d’Angleterre, repartant de Caen avec du minerai…

— Vous venez boire quelque chose ? propose Maigret.

— Pas avant la fin de la marée… Il faut que je reste ici…

Et il crie des ordres à des hommes invisibles, dont il connaît la place exacte.

— Vous êtes chargé de faire une enquête ?

Des bruits de pas viennent du village. Un homme passe sur une porte de l’écluse et, au moment où il est éclairé par une des lampes, on reconnaît le canon d’un fusil.

— Qui est-ce ?

— Le maire, qui va à la chasse aux canards… Il a un gabion sur l’Orne… Son aide doit déjà être là-bas à tout préparer pour la nuit…

— Vous croyez que je trouverai l’hôtel ouvert ?

— L’Univers, oui ! Mais dépêchez-vous… Le patron aura bientôt fini sa partie de cartes et ira se coucher… Dès lors, il ne se lèverait pas pour un empire…

— À demain… dit Maigret.

— Oui ! Je serai au port dès dix heures, pour la marée.

Ils se serrent la main, sans se connaître. Et la vie continue dans le brouillard, où on heurte soudain un homme qu’on n’a pas vu.

Ce n’est pas sinistre, à proprement parler, c’est autre chose, une inquiétude vague, une angoisse, une oppression, la sensation d’un monde inconnu auquel on est étranger et qui poursuit sa vie propre autour de vous.

Cette obscurité peuplée de gens invisibles. Ce voilier, par exemple, qui attend son tour, tout près, et qu’on ne devine même pas…

Maigret repasse près du pêcheur immobile sous sa lanterne. Il veut lui dire quelque chose.

— Ça mord ?…

Et l’autre se contente de cracher dans l’eau tandis que Maigret s’éloigne, furieux d’avoir dit une telle stupidité.

La dernière chose qu’il entend avant d’entrer à l’hôtel est le bruit des volets qui se ferment au premier étage de la maison du capitaine Joris.

Julie qui a peur !… Le chat qui s’est échappé au moment où on entrait dans la maison !…

— Cette corne de brume va gueuler toute la nuit ? gronde Maigret, avec impatience, en apercevant le patron de l’hôtel.

— Tant qu’il y aura du brouillard… On s’habitue…

Il eut un sommeil agité, comme quand on fait une mauvaise digestion ou encore comme quand, étant enfant, on attend un grand événement. Deux fois il se leva, colla son visage aux vitres froides et ne vit rien que la route déserte et le pinceau mouvant du phare, qui semblait vouloir percer un nuage. Toujours la corne de brume, plus violente, plus agressive.

La dernière fois, il regarda sa montre. Il était quatre heures, et des pêcheurs, panier au dos, s’en allaient vers le port au rythme bruyant de leurs sabots.

Presque sans transition des coups précipités frappés à sa porte et celle-ci qu’on ouvrait sans attendre sa réponse, le visage bouleversé du patron.

Mais du temps s’était écoulé. Il y avait du soleil sur les vitres. Pourtant la corne de brume sévissait toujours.

— Vite !… Le capitaine est en train de mourir…

— Quel capitaine ?

— Le capitaine Joris… C’est Julie qui vient d’accourir au port pour qu’on vous prévienne en même temps qu’un médecin…

Maigret, les cheveux en broussaille, passait déjà son pantalon, enfilait ses chaussures sans les lacer, endossait son veston en oubliant son faux col.

— Vous ne prenez rien avant de partir ?… Une tasse de café ?… Un verre de rhum ?…

Mais non ! Il n’en avait pas le temps. Dehors, en dépit du soleil, il faisait très frais. La route était encore humide de rosée.

En franchissant l’écluse, le commissaire aperçut la mer, toute plate, d’un bleu pâle, mais on n’en voyait qu’une toute petite bande, car à faible distance une longue écharpe de brouillard voilait l’horizon.

Sur le pont, quelqu’un l’avait interpellé.

— Vous êtes le commissaire de Paris ?… Je suis le garde champêtre… Je suis heureux… On vous a déjà dit ?…

— Quoi ?…

— Il paraît que c’est affreux !… Tenez ! Voici la voiture du docteur.

Et les barques de pêche, dans l’avant-port, se balançaient mollement, étirant sur l’eau des reflets rouges et verts. Des voiles étaient hissées, sans doute pour sécher, montrant leur numéro peint en noir.

Deux ou trois femmes, devant la maisonnette du capitaine, là-bas, près du phare. La porte ouverte. L’auto du docteur dépassa Maigret et le garde champêtre qui s’accrochait à lui.

— On parle d’empoisonnement… Il paraît qu’il est verdâtre…

Maigret entra dans la maison au moment précis où Julie, en larmes, les yeux gonflés, les joues pourpres, descendait lentement l’escalier. On venait de la mettre à la porte de la chambre où le docteur examinait le moribond.

Elle portait encore, sous un manteau passé en hâte, une longue chemise de nuit blanche et elle avait les pieds nus dans ses pantoufles.

— C’est affreux, monsieur le commissaire !… Vous ne pouvez pas vous faire une idée… Montez vite !… Peut-être que…

Maigret entra dans la chambre alors que le docteur, après s’être penché sur le lit, se redressait. Son visage disait clairement qu’il n’y avait rien à faire.

— Police…

— Ah ! bien… C’est fini. Peut-être deux ou trois minutes… Ou je me trompe fort, ou c’est de la strychnine…

Il alla ouvrir la fenêtre, parce que la bouche ouverte du moribond semblait avoir peine à aspirer l’air. Et on revit, tableau irréel, le soleil, le port, les barques et leurs voiles larguées, et des pêcheurs qui versaient dans des caisses de pleins paniers de poissons brillants.

Par contraste, le visage de Joris paraissait plus jaune, ou plus vert. C’était indéfinissable. Un ton neutre, incompatible avec l’idée qu’on se fait de la chair.

Ses membres se tordaient, étaient animés de soubresauts mécaniques. Et néanmoins son visage restait calme, ses traits immobiles, son regard fixé sur le mur, droit devant lui.

Le docteur tenait un des poignets, afin de suivre l’affaiblissement du pouls. À un certain moment, sa physionomie indiqua à Maigret :

— Attention !… C’est la fin.

Alors il se passa une chose inattendue, émouvante. On ne pouvait pas savoir si le malheureux avait recouvré sa raison. On ne voyait qu’un visage inerte.

Or, ce visage s’anima. Les traits se tendirent, comme sur le visage d’un gosse qui va pleurer. Une lamentable moue d’être très malheureux, qui n’en peut plus…

Et deux grosses larmes qui jaillissaient, cherchaient leur voie…

Presque au même instant la voix mate du médecin :

— C’est fini !

Était-ce croyable ? C’était fini au moment même où Joris versait deux larmes !

Et tandis que ces larmes vivaient encore, qu’elles roulaient vers l’oreille qui les buvait, le capitaine, lui, était mort.

On entendait des pas dans l’escalier. En bas, au milieu des femmes, Julie hoquetait. Maigret s’avança sur le palier et prononça lentement :

— Que personne n’entre dans la chambre !

— Il est…

— Oui ! laissa-t-il tomber.

Et il revint dans la pièce ensoleillée où le médecin, par acquit de conscience, préparait une seringue pour faire une piqûre au cœur.

Sur le mur du jardin, il y avait un chat tout blanc.

II

L’héritage

On entendait quelque part en bas, sans doute dans la cuisine, les cris aigus de Julie qui se débattait au milieu des voisines.

Et, par la fenêtre restée grande ouverte, Maigret vit des gens qui arrivaient du village, moitié marchant, moitié courant, des gamins à vélo, des femmes portant leur enfant sur le bras, des hommes en sabots. C’était un petit cortège désordonné, gesticulant, qui atteignait le pont, le franchissait, se dirigeait vers la maison du capitaine, exactement de la même manière que s’il eût été attiré par le tour de ville d’un cirque ambulant ou par un accident d’automobile.

Bientôt le murmure du dehors fut tel que Maigret referma la fenêtre dont les rideaux de mousseline tamisèrent le soleil. Et l’atmosphère devint douce, discrète. Le papier des murs était rose. Les meubles clairs étaient bien polis. Un vase plein de fleurs trônait sur la cheminée.

Le commissaire regarda le docteur, qui observait en transparence un verre et une carafe posés sur la table de nuit. Il trempa même son doigt dans un reste d’eau, se toucha le bout de la langue.

— C’est cela ?

— Oui. Le capitaine doit avoir l’habitude de boire la nuit. Autant que j’en puisse juger, il l’a fait cette fois vers trois heures du matin, mais je ne comprends pas pourquoi il n’a pas appelé.

— Pour la bonne raison qu’il était incapable de parler et même d’émettre le moindre son, grommela Maigret.

Il appela le garde champêtre, qu’il chargea d’avertir le maire et le parquet de Caen. On entendait toujours des allées et venues, en bas. Dehors, sur le bout de route ne conduisant nulle part, les gens du pays stationnaient, par groupes. Quelques-uns, pour attendre plus confortablement, s’étaient assis dans l’herbe.

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