Simenon, Georges - Maigret Страница 4

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Simenon, Georges - Maigret

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Avant d'ouvrir les yeux, Maigret fronça les sourcils, comme s'il se fût méfié de cette voix qui venait lui crier tout au fond de son sommeil : Mon oncle !?


Les paupières toujours closes, il soupira, tâtonna le drap de lit et comprit qu'il ne rêvait pas, qu'il se passait quelque chose puisque sa main n'avait pas rencontré, là où il eût dû être, le corps chaud de Mme Maigret. Il ouvrit enfin les yeux. La nuit était claire. Mme Maigret, debout près de la fenêtre à petits carreaux, écartait le rideau cependant qu'en bas quelqu'un secouait la porte et que le bruit se répercutait dans toute la maison. Mon oncle ! C'est moi ?


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— Tu as couché avec lui ?

Alors Fernande, qui faisait deux pas pour un pas de l’homme, de répliquer aussi simplement :

— Il ne couche pas !

Mme Maigret dormait, à Meung, dans la maison qui sentait le bois brûlé et le lait de chèvre. Philippe avait fini par s’endormir aussi, dans sa chambre d’hôtel de la rue des Dames, près de la table de nuit où il avait posé ses lunettes.

III

Maigret s’était assis au bord du lit, tandis que Fernande, les jambes croisées, poussait un soupir d’aise en retirant ses chaussures. Avec le même naturel, elle releva sa robe de soie verte pour détacher les jarretelles qui retenaient ses bas.

— Tu ne te déshabilles pas ?

Maigret fit non de la tête et elle n’y prit pas garde, car elle passait sa robe par-dessus sa tête.

L’appartement de Fernande était un petit appartement de la rue Blanche. L’escalier, garni d’un tapis rouge, sentait l’encaustique. Quand Maigret l’avait gravi, des bouteilles à lait vides attendaient devant toutes les portes. Ils avaient traversé ensuite un salon encombré de bibelots, et maintenant Maigret entrevoyait une cuisine très propre où tous les objets étaient rangés avec un soin méticuleux.

— À quoi penses-tu ? demanda Fernande qui, en enlevant ses bas, découvrait des jambes longues et blanches, puis regardait ses doigts de pied avec intérêt.

— À rien. Je peux fumer ?

— Il y a des cigarettes sur la table.

Maigret, la pipe aux dents, marchait de long en large, s’arrêtait devant le portrait agrandi d’une femme de cinquante ans, puis devant un pot de cuivre qui contenait une plante verte. Le plancher était ciré, et l’on remarquait près de la porte deux morceaux de feutre en forme de semelle dont Fernande devait se servir pour circuler sans salir.

— Tu es du Nord ? dit-il sans la regarder.

— À quoi vois-tu ça ?

Il se campa enfin devant elle. Elle avait les cheveux d’un blond indécis, tirant sur le roux, un visage irrégulier, à la bouche longue, au nez pointu marqué de taches de son.

— Je suis de Roubaix.

Cela se sentait, à la façon dont l’appartement était rangé et astiqué, à l’ordre surtout qui régnait dans la cuisine. Maigret était sûr que le matin Fernande s’y installait, près du fourneau, et buvait un immense bol de café tout en lisant le journal.

Maintenant, elle regardait son compagnon avec une pointe d’inquiétude.

— Tu ne te déshabilles pas ? répéta-t-elle en se levant et en s’approchant du miroir.

Puis aussitôt, soupçonneuse :

— Pourquoi es-tu venu ?

Elle pressentait quelque chose d’anormal. Son esprit travaillait.

— Je ne suis pas venu pour ça, tu as raison, avoua Maigret en souriant.

Il sourit davantage en la voyant saisir une robe de chambre comme si elle eût été prise d’une pudeur soudaine.

— Alors, qu’est-ce que tu veux ?

Elle ne devinait pas. Elle avait pourtant l’habitude de classer les hommes. Elle examinait les souliers, la cravate, les yeux de son visiteur.

— Tu n’es pourtant pas de la police ?

— Assieds-toi. Nous allons bavarder comme de bons camarades. Tu ne te trompes pas tout à fait, car j’ai été longtemps commissaire à la Police judiciaire.

Elle fronça les sourcils.

— N’aie pas peur ! Je n’y suis plus ! Je suis retiré à la campagne et, si je suis à Paris aujourd’hui, c’est parce que Cageot a fait une saleté.

— C’est pour ça !… dit-elle pour elle-même en évoquant les deux hommes attablés dans des attitudes si étranges.

— J’ai besoin d’en avoir la preuve et il y a des gens que je ne peux pas aller questionner.

Elle ne le tutoya plus.

— Vous voulez que je vous aide ? C’est ça ?

— Tu as deviné. Tu sais aussi bien que moi, n’est-ce pas, qu’au Floria c’est crapule et compagnie ?

Elle soupira en signe d’assentiment.

— Le vrai patron, c’est Cageot, qui a aussi le Pélican et la Boule-Verte.

— Il paraît qu’il a ouvert quelque chose à Nice aussi.

Ils avaient fini par s’asseoir chacun d’un côté de la table, et Fernande questionna :

— Vous ne voulez pas boire quelque chose de chaud ?

— Pas maintenant. Tu as entendu parler de l’histoire de la place Blanche, il y a quinze jours. Une auto passait, avec trois ou quatre hommes dedans, vers trois heures du matin. Entre la place Blanche et la place Clichy, la portière s’est ouverte et l’un des hommes a été lancé sur la chaussée. Il venait d’être tué d’un coup de couteau.

— Barnabé ! précisa Fernande.

— Tu le connaissais ?

— Il venait au Floria.

— Eh bien ! c’était un coup de Cageot. Je ne sais pas s’il était lui-même dans la voiture, mais Pepito en était. Et la nuit dernière, c’était son tour.

Elle ne dit rien. Elle réfléchissait, le front plissé, et telle quelle, elle avait l’air d’une ménagère quelconque.

— Qu’est-ce que ça peut vous faire ? objecta-t-elle enfin.

— Si je n’ai pas la peau de Cageot, c’est un neveu à moi qui sera condamné à sa place.

— Le grand rouquin qui ressemble à un employé des contributions ?

C’était au tour de Maigret de s’étonner.

— Comment le connais-tu ?

— Voilà deux ou trois jours qu’il vient au bar du Floria. Je l’avais repéré, parce qu’il ne dansait pas et ne parlait à personne. Hier, il m’a payé un verre. J’ai essayé de lui tirer les vers du nez et il a avoué sans avouer, m’a expliqué en bafouillant qu’il ne pouvait rien me dire mais qu’il remplissait une mission importante.

— Le crétin !

Maigret se leva et alla droit au but.

— Alors, c’est entendu ? Il y a deux mille francs pour toi si tu m’aides à posséder Cageot.

Elle souriait malgré elle. Cela l’amusait.

— Qu’est-ce que je devrai faire ?

— Pour commencer, j’ai besoin de savoir si, la nuit dernière, notre Cageot n’a pas mis les pieds au Tabac Fontaine.

— J’y vais cette nuit ?

— Tout de suite si tu veux.

Elle retira son peignoir et, sa robe à la main, regarda un instant Maigret.

— Je me rhabille vraiment ?

— Mais oui, soupira-t-il en mettant cent francs sur la cheminée.

Ils remontèrent ensemble la rue Blanche. Au coin de la rue de Douai, ils se séparèrent après une poignée de main, et Maigret descendit la rue Notre-Dame-de-Lorette. En arrivant à son hôtel, il se surprit à siffloter.

À dix heures du matin, il était installé à la Chope-du-Pont-Neuf et il avait choisi une table que le soleil atteignait par intermittence, car les passants l’interceptaient à un rythme régulier. Il y avait déjà du printemps dans l’air. La vie de la rue était plus allègre, les bruits plus aigus.

Quai des Orfèvres, c’était l’heure du rapport. Au bout du long couloir où s’alignent les bureaux, le directeur de la PJ recevait ses collaborateurs, qui apportaient des dossiers. Le commissaire Amadieu était parmi ses collègues. Maigret devinait la voix du grand patron.

— Alors, Amadieu, cette affaire Palestrino ?

Amadieu se penchait, tiraillait ses moustaches, esquissait un sourire aimable.

— Voici les rapports, monsieur le directeur.

— C’est vrai que Maigret est à Paris ?

— On le dit.

— Mais alors, pourquoi diable ne vient-il pas me voir ?

Maigret souriait. Il était sûr que cela se passait ainsi. Il voyait la longue tête d’Amadieu devenir plus longue encore. Il l’entendait insinuer :

— Il a peut-être ses raisons.

— Vous croyez vraiment que l’inspecteur a tiré ?

— Je n’affirme rien, monsieur le directeur. Tout ce que je sais, c’est que le revolver porte ses empreintes. On a retrouvé une seconde balle dans le mur.

— Mais pourquoi aurait-il fait ça ?

— L’affolement… On nous donne comme inspecteurs des jeunes gens qui ne sont pas préparés à…

Philippe entrait justement à la Chope-du-Pont-Neuf et marchait droit vers son oncle, qui demanda :

— Un café crème. J’ai pu me procurer tout ce que vous m’avez demandé, mais cela n’a pas été facile. Le commissaire Amadieu me tient à l’œil ! Les autres me regardent avec méfiance.

Il essuya les verres de ses lunettes et tira des papiers de sa poche.

— D’abord Cageot. Je suis allé aux sommiers et j’ai copié sa fiche. Il est né à Pontoise et il a maintenant cinquante-neuf ans. Il a débuté comme clerc d’avoué à Lyon et il a été condamné à un an pour faux et usage de faux. Trois ans plus tard, il prend six mois pour tentative d’escroquerie à l’assurance. C’est à Marseille.

« Je perds sa trace pendant quelques années, mais je la retrouve à Monte-Carlo, où il est croupier. Dès ce moment, il sert d’indicateur à la Sûreté générale, ce qui ne l’empêche pas d’être compromis dans une affaire de jeu qui n’a jamais été éclaircie.

« Enfin, il y a cinq ans, à Paris, il est gérant du Cercle de l’Est, qui n’est qu’un tripot. On ne tarde pas à fermer le cercle, mais Cageot n’est pas inquiété. C’est tout ! Depuis lors, il vit rue des Batignolles, dans un logement où il n’a qu’une femme de ménage. Il continue à faire des visites à la rue des Saussaies et au quai des Orfèvres. Trois boîtes de nuit au moins lui appartiennent, mais sont gérées par ses hommes de paille.

— Pepito ? prononça Maigret, qui avait pris des notes.

— Vingt-neuf ans. Né à Naples. Deux fois expulsé de France pour trafic de stupéfiants. Pas d’autres délits.

— Barnabé ?

— Né à Marseille. Trente-deux ans. Trois condamnations dont une pour complicité de vol à main armée.

— On a retrouvé la camelote, au Floria ?

— Rien. Ni drogue ni papiers. L’assassin de Pepito a tout emporté.

— Comment s’appelle le type qui t’a bousculé et qui a alerté la police ?

— Joseph Audiat. C’est un ancien garçon de café qui s’occupe des courses. Il n’a pas de domicile fixe et se fait adresser sa correspondance au Tabac Fontaine. Je crois qu’il ramasse les paris.

— À propos, dit Maigret, j’ai rencontré ton amie.

— Mon amie ? répéta Philippe en rougissant.

— Une grande fille en robe de soie verte à qui tu as offert à boire au Floria. Nous avons presque couché ensemble.

— Moi pas ! affirma Philippe. Si elle vous a dit le contraire…

Lucas, qui venait d’entrer, hésitait à s’approcher. Maigret lui fit signe de venir.

— Tu t’occupes de l’affaire ?

— Pas précisément, patron. Je voulais seulement vous signaler, en passant, que Cageot est à nouveau dans la maison. Il est arrivé voilà un quart d’heure et s’est enfermé avec le commissaire Amadieu.

— Tu prends un demi ?

Lucas bourra sa pipe à la blague de Maigret. C’était l’heure où les garçons faisaient le mastic, frottant les glaces au blanc d’Espagne, semant de la sciure de bois entre les tables. Le patron, déjà en veston noir, passait en revue les hors-d’œuvre rangés sur une desserte.

— Vous croyez que c’est Cageot ? questionna Lucas en baissant la voix et en tendant la main vers son demi.

— J’en suis certain.

— Ce n’est pas gai !

Philippe évitait d’intervenir, regardait avec respect ses compagnons qui avaient travaillé ensemble pendant vingt ans et qui, de temps en temps, entre deux bouffées de pipe, laissaient tomber quelques syllabes.

— Il vous a vu, patron ?

— Je suis allé lui dire que j’aurais sa peau. Garçon ! Encore deux demis !

— Il n’avouera jamais.

Les camions de la Samaritaine passaient derrière les vitres, tout jaunes dans le soleil. De longs tramways les poursuivaient en sonnaillant.

— Qu’est-ce que vous comptez faire ?

Maigret haussa les épaules. Il n’en savait rien. Ses petits yeux, par-delà l’agitation de la rue, par-delà la Seine, fixaient le Palais de Justice. Philippe jouait avec son crayon.

— Il faut que je file ! soupira le brigadier Lucas. Je dois enquêter sur un garçon de la rue Saint-Antoine, une espèce de Polonais qui a joué quelques drôles de tours. Vous serez là cet après-midi ?

— Probablement.

Maigret se leva aussi. Philippe s’inquiéta :

— Je vais avec vous ?

— J’aime autant pas. Retourne quai des Orfèvres. Nous nous retrouverons ici pour déjeuner.

Il prit l’autobus et, une demi-heure plus tard, il montait chez Fernande. Elle fut quelques minutes avant de lui ouvrir, car elle était encore couchée. La chambre était inondée de soleil. Les draps du lit défait étaient éclatants.

— Déjà ! s’étonna Fernande en tenant son pyjama croisé sur sa poitrine. Je dormais ! Attendez un instant.

Elle passa dans la cuisine, alluma le réchaud à gaz et remplit une casserole d’eau sans s’interrompre de parler.

— Je suis allée au tabac, comme vous me l’avez demandé. Ils ne se méfient pas de moi, évidemment. Vous savez que le patron est en même temps tôlier à Avignon ?

— Va toujours.

— Il y avait une table où l’on jouait à la belote. Moi, je faisais celle qui a traîné toute la nuit et qui est fatiguée.

— Tu n’as pas remarqué un petit brun, nommé Joseph Audiat ?

— Attendez ! Il y avait un Joseph, en tout cas. Il racontait qu’il avait passé l’après-midi chez un juge d’instruction. Mais vous savez comment ça va. On joue. Belote ! Rebelote ! À toi, Pierre… Puis on dit une phrase… Quelqu’un répond du comptoir… Passe !… Repasse !… À toi, Marcel !… Le patron jouait aussi… Il y avait un nègre…

« — Tu prends quelque chose ? m’a demandé un grand brun en me désignant une chaise près de lui.

« Je n’ai pas dit non. Il me montrait son jeu.

« — En tout cas, disait celui qu’ils appelaient Joseph, moi, je trouve ça dangereux de mettre un flic dedans. Demain, ils doivent encore me confronter avec lui. Il a une bonne bille d’idiot, bien sûr…

« — Atout cœur !

« — Quatrième haute !

Fernande s’interrompit.

— Vous prendrez bien une tasse de café aussi ?

Et déjà l’odeur du café emplissait les trois pièces.

— Moi, vous comprenez, je ne pouvais pas leur parler tout à coup de Cageot. Je leur ai dit :

« — Alors, comme ça, vous êtes ici tous les soirs ?

« — Ça en a l’air… a répondu mon voisin.

« — Et vous n’avez rien entendu, la nuit dernière ?

Maigret, débarrassé de son manteau et de son chapeau, avait entrouvert la fenêtre, livrant la pièce à la rumeur de la rue.

Fernande poursuivait :

— Il m’a répondu en me lançant un drôle de regard.

« Je voyais qu’il s’allumait. Tout en jouant, il me caressait le genou. Et il continuait :

« — Nous autres, on n’entend jamais rien, tu comprends. À part Joseph, qui a vu ce qu’il devait voir.

« Là-dessus, ils ont éclaté de rire. Qu’est-ce que je pouvais faire ? Je n’osais pas retirer ma jambe.

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