Simenon, Georges - Lécluse n°1 Страница 8
- Категория: Детективы и Триллеры / Полицейский детектив
- Автор: Simenon
- Год выпуска: неизвестен
- ISBN: нет данных
- Издательство: неизвестно
- Страниц: 15
- Добавлено: 2019-10-13 14:47:39
Simenon, Georges - Lécluse n°1 краткое содержание
Прочтите описание перед тем, как прочитать онлайн книгу «Simenon, Georges - Lécluse n°1» бесплатно полную версию:Quand on observe des poissons à travers une couche d’eau qui interdit entre eux et nous tout contact, on les voit rester longtemps immobiles, sans raison, puis d’un frémissement de nageoires aller un peu plus loin pour n’y rien faire qu’attendre à nouveau.
C’est dans le même calme, comme sans raison aussi, que le tramway 13, le dernier « Bastille-Créteil », traîna ses lumières jaunâtres tout le long du quai des Carrières. Au coin d’une rue, près d’un bec de gaz vert, il fit mine de s’arrêter, mais le receveur agita sa sonnette et le convoi fonça vers Charenton. Derrière lui, le quai restait vide et stagnant comme un paysage du fond de l’eau. A droite, des péniches flottaient sur le canal, avec de la lune tout autour.
Un filet d’eau se faufilait par une vanne mal fermée de l’écluse, et c’était le seul bruit sous le ciel encore plus quiet et plus profond qu’un lac.
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Avant de prendre congé, le commissaire expliqua au chef :
— J’avais oublié mon déménagement. Les meubles sont partis hier soir en tapissière. Or, ma femme doit être à la campagne pour les recevoir.
Le directeur de la Police judiciaire haussa les épaules, et Maigret, qui s’en aperçut, s’arrêta sur le seuil.
— Que voulez-vous dire, patron ?
— Que vous ferez comme les autres, c’est-à-dire qu’avant un an vous aurez repris du service, mais cette fois pour une banque ou une compagnie d’assurances.
Il y avait de la mélancolie, ce soir-là, dans le bureau envahi par le crépuscule, une mélancolie très fluide que les deux hommes feignirent d’ignorer.
— Je vous jure que non.
— À demain. Pas de gaffe avec Ducrau, surtout, car il doit avoir deux ou trois députés dans sa manche.
Maigret prit un taxi et arriva quelques minutes plus tard dans son appartement du boulevard Edgar-Quinet. Sa femme était affairée. Deux pièces étaient vides, et dans les autres des paquets s’entassaient sur les meubles. Quelque chose cuisait, non sur le fourneau, qui était déjà expédié, mais sur un réchaud à alcool.
— Tu ne peux vraiment pas venir avec moi ? Tu reprendrais le train demain soir. C’est pour décider de la place des meubles.
Non seulement c’était impossible, mais Maigret n’en avait pas envie. Cela lui faisait certes un drôle d’effet de rentrer dans cette maison dévastée qu’ils allaient quitter pour toujours, mais ce qui lui faisait un effet plus étrange encore, c’était la vue de certaines choses que sa femme se préparait à emporter, et aussi des phrases qu’elle prononçait sans cesser de s’agiter.
— Tu as vu les fauteuils pliants qu’on a livrés ? Quelle heure as-tu ? C’est Mme Bigaud qui a téléphoné pour les meubles. Le temps est superbe et les cerisiers sont blancs de fleurs. Quant à la chèvre dont elle nous avait parlé, elle n’est pas à vendre, mais son propriétaire nous donnera son petit si elle en a un cette année.
Maigret, qui approuvait en souriant, n’y était pas du tout.
— Mange toujours, criait Mme Maigret de la pièce voisine. Moi je n’ai pas faim.
Lui non plus. Il grignota. Puis il dut descendre les bagages encombrants, aux formes biscornues – il y avait même des outils de jardin ! – qui emplirent un taxi.
— Gare d’Orsay.
Il embrassa sa femme à la portière du train et, vers onze heures, il se trouva seul au bord de la Seine, mécontent de quelque chose ou de quelqu’un.
Un peu plus loin, quai des Célestins, il passa devant les bureaux de Ducrau. Il n’y avait pas de lumière. Les rayons obliques d’un bec de gaz faisaient scintiller les plaques de cuivre. Et des bateaux, tout au long des berges, étaient mollement couchés sur le fleuve.
Pourquoi le chef lui avait-il dit ça ? C’était idiot ! Maigret avait vraiment envie de campagne, de quiétude, de lecture. Il était fatigué.
Et pourtant il ne parvenait pas à suivre sa femme en pensée. Il essayait de se souvenir de ce qu’elle lui avait dit à propos de la chèvre et d’autres choses encore. Mais en réalité il se demandait, en regardant le fourmillement des lumières sur l’autre rive de la Seine : « Où peut être Ducrau à cette heure-ci ? Est-il enfin rentré chez lui, malgré son horreur pour le « carnaval » ? Dîne-t-il, les coudes sur la table, dans un grand restaurant ou dans un bistrot de chauffeurs ? Va-t-il à nouveau traîner de maison close en maison close en portant au bras le deuil de son fils ? »
Rien sur ce Jean Ducrau, rien de rien ! Il y a comme cela des êtres sur qui les gens n’ont rien à dire. Deux inspecteurs s’en étaient occupés, au Quartier latin, à l’École des chartes, à Charenton.
— Un charmant garçon, un peu renfermé, pas très bien portant…
On ne lui connaissait pas de vice, pas de passion. On ne savait pas à quoi il passait ses soirées.
— Il doit rester chez lui à travailler, car, depuis sa maladie, il avait plutôt le travail difficile.
Pas de vie de famille. Pas de copains. Pas de petite amie. Et, un beau matin, il se pendait en s’accusant d’avoir voulu tuer son père !
Il y avait eu néanmoins ces trois mois passés sur la Toison-d’Or avec Aline.
Jean… Aline… Gassin… Ducrau…
Maigret reconnut les grilles de Bercy, puis, à droite, les cheminées de l’usine électrique. Des tramways le dépassaient. Il lui arrivait de s’arrêter sans raison, puis de repartir.
Là-bas, l’écluse N°1 l’attendait, et la maison haute, la péniche, les bistrots, le petit bal, tout un décor, ou plutôt tout un monde lourd de substances, d’odeurs, vies enchevêtrées qu’il essayait de démêler.
C’était sa dernière affaire. Les meubles étaient déjà arrivés dans la bicoque des bords de la Loire.
Il avait mal embrassé sa femme en la quittant. Il avait porté les paquets avec mauvaise humeur. Il n’avait même pas attendu que le train s’ébranlât.
Pourquoi le chef lui avait-il dit ça ?
Et brusquement, Maigret prit le tramway, au lieu de poursuivre sa marche indécise le long des quais.
Le paysage était d’autant plus vide que la lune en éclairait les moindres recoins. Le bistrot de gauche était déjà fermé et, dans celui de Fernand, trois hommes jouaient aux cartes avec le patron.
Quand Maigret passa sur le trottoir, ils entendirent le bruit de ses pas, de l’intérieur, et Fernand leva la tête, reconnut sans doute le commissaire car il ouvrit la porte.
— Encore par ici à cette heure ? Il n’y a pas de nouveau, au moins ?
— Rien de nouveau.
— Vous ne voulez pas prendre quelque chose ?
— Merci.
— Vous avez tort. On bavarderait un moment.
Maigret entra, avec la sensation qu’il faisait une gaffe. Les joueurs attendaient, leurs cartes à la main. Le patron remplit un verre de marc, un second pour lui.
— À votre santé !
— Tu joues, ou tu ne joues pas ?
— Voilà ! Vous permettez, monsieur le commissaire ?
Et celui-ci restait debout à flairer quelque chose d’anormal.
— Vous ne prenez pas une chaise ? Je coupe !
Maigret regarda dehors mais ne vit rien que le décor stagnant dont la lune découpait les contours.
— Curieux, n’est-ce pas, cette histoire de Bébert ?
— Joue ! Tu causeras après.
— Je vous dois combien ? questionna Maigret.
— C’est ma tournée.
— Mais non.
— Mais si. Une seconde, et je suis à vous. Belote !
Il jeta les cartes, se dirigea vers le comptoir.
— Qu’est-ce que vous prenez ? La même chose ? Et vous autres, les enfants ?
Il y avait dans l’air, dans les attitudes, dans les voix, quelque chose de pas net, de pas franc, surtout chez le patron, qui s’acharnait à ne pas laisser s’installer le silence.
— Vous savez que Gassin est toujours aussi soûl ? C’est une vraie neuvaine ! Un grand verre, Henry ? Et toi ?
Il n’y avait plus que le café de vivant sur le quai endormi. Maigret, qui essayait d’observer à la fois le dedans et le dehors, marcha vers la porte.
— À propos, monsieur le commissaire, je voulais vous dire…
— Quoi ? grogna-t-il en se retournant.
— Attendez… Je ne sais plus… C’est idiot… Qu’est-ce que vous prenez ?…
C’était tellement faux que ses copains le regardaient avec gêne. Fernand le sentit lui-même, et ses pommettes devinrent plus rouges.
— Que se passe-t-il ? questionna Maigret.
— Que voulez-vous dire ?
Il tenait la porte ouverte et regardait les bateaux englués dans le canal.
— Pourquoi essaies-tu de me retenir ?
— Moi ? Je vous jure…
Alors le commissaire finit par deviner dans la masse formée par les coques sombres, par les mâts et les cabines, un tout petit point lumineux. Sans se donner la peine de refermer la porte, il traversa les quais, se trouva devant la passerelle de laToison-d’Or.
Un homme était debout à deux mètres de lui, qu’il faillit ne pas voir.
— Qu’est-ce que vous faites ici ?
— J’attends mon client.
Et, en se retournant, Maigret constata qu’il y avait un peu plus loin un taxi sans lanterne.
L’étroite passerelle fit, sous le poids du commissaire, un bruit de planche remuée. Il y avait une faible lueur derrière les vitraux de la porte et il l’ouvrit sans hésiter, s’engagea dans l’escalier.
— On peut entrer ?
On sentait de la vie. Après quelques marches, Maigret domina la cabine éclairée par une lampe à pétrole. La couverture du lit était faite pour la nuit. Sur la toile cirée de la table, il y avait une bouteille et deux verres.
Et deux hommes étaient assis face à face, silencieux, attentifs : le vieux Gassin, dont les petits yeux étaient menaçants, et, les coudes sur la table, Émile Ducrau, qui avait repoussé sa casquette sur sa nuque.
— Entrez, commissaire. Je me doutais que vous viendriez.
Il ne crânait pas. Il n’était ni gêné, ni surpris. La grosse lampe à pétrole dégageait des bouffées brûlantes, et le calme était si absolu qu’on eût juré qu’avant l’arrivée de Maigret les deux hommes avaient passé des heures de mutisme et d’immobilité. La porte de la seconde cabine était fermée au verrou. Aline dormait-elle ? Écoutait-elle, immobile dans l’obscurité ?
— Mon chauffeur est toujours là ?
Ducrau, comme un homme engourdi, essayait de secouer sa torpeur.
— Vous aimez l’eau-de-vie hollandaise ?
Il alla prendre lui-même un verre dans le buffet, l’emplit de liquide incolore et voulut saisir son propre verre. Mais à ce moment, Gassin, d’un geste brutal, balaya la table. Bouteille et verres roulèrent sur le plancher. La bouteille, par miracle, ne se brisa pas, perdit son bouchon et fit entendre un long glouglou.
Ducrau n’avait pas tressailli. Peut-être s’attendait-il à un acte de ce genre ? Quant à Gassin, à deux doigts d’une crise furieuse, il respirait avec force, les poings serrés, le torse en avant.
Quelqu’un remuait dans la cabine voisine. Le chauffeur arpentait toujours le quai. Gassin resta encore un moment comme en suspens et enfin il s’abattit sur sa chaise, la tête entre les mains, en sanglotant :
— Bon sort de bon sort !
Ducrau montrait l’écoutille à Maigret et, en passant, se contentait de toucher l’épaule du vieux. C’était fini. Sur le pont, ils prenaient un bain d’air et comme de limpidité. Le chauffeur courait vers sa voiture. Ducrau s’arrêta un moment, la main sur le bras de son compagnon.
— J’ai fait tout ce que je pouvais. Vous rentrez à Paris ?
Ils gravissaient les marches de l’escalier de pierre et l’auto ronronnait, portière ouverte. Le commissaire aperçut, derrière les vitres du bistrot, la silhouette de Fernand, qui devait regarder la voiture.
— C’est vous qui avez donné des ordres pour qu’on ne vous dérange pas ?
— À qui ?
Maigret esquissa un geste de la main, que son compagnon comprit.
— Il a fait ça ?
Ducrau sourit, flatté et mécontent.
— Braves idiots ! grommela-t-il. Montez ! Tout droit, chauffeur. Vers le centre de la ville.
Il retira sa casquette pour se passer la main dans les cheveux.
— Vous me cherchiez ?
Maigret n’avait rien à répondre et, d’ailleurs, son interlocuteur n’attendait pas de réponse.
— Vous avez réfléchi à ce que je vous ai proposé ce matin ?
Mais Ducrau n’espérait pas. Peut-être même eût-il été déçu par une bonne réponse.
— Ma femme est partie ce soir pour arranger les meubles dans ma maison.
— De quel côté ?
— Entre Meung et Tours.
Les quais étaient déserts. Jusqu’à la rue Saint-Antoine, on ne croisa que deux voitures. Le chauffeur baissa la glace.
— Où faut-il aller ?
Et Ducrau, comme s’il défiait quelqu’un :
— Vous me déposerez au Maxim.
C’est là qu’il descendit, en effet, lourd et buté, dans son gros complet bleu orné d’un brassard de crêpe. Le chasseur, qui devait le connaître, se précipita néanmoins.
— Vous entrez un moment, commissaire ?
— Merci.
Ducrau était déjà dans le tambour de la porte qui tournait, si bien qu’ils ne se serrèrent pas la main, n’eurent même pas le temps de se saluer.
Il était une heure et demie. Le chasseur demandait à Maigret :
— Taxi ?
Oui… Non… Boulevard Edgar-Quinet, il n’y avait personne, et le grand lit était parti pour la campagne. Maigret fit comme Ducrau : il alla coucher à l’hôtel, au bout de la rue Saint-Honoré.
Sa femme, qui était arrivée là-bas, dormait pour la première fois dans leur maison.
VII
Un piétinement lent et monotone venait encore du fond du cimetière, bien que la tête du cortège fût déjà à la grille. Et ce bruit de graviers écrasés, cette poussière qui étoffait l’air jusqu’à y mettre des arcs-en-ciel, la pesanteur de cette troupe en marche qui devait parfois marquer le pas, accroissaient encore l’impression de chaleur.
Calé contre la grille ouverte du cimetière, Émile Ducrau, tout en noir, avec du linge très blanc, s’épongeait de son mouchoir roulé en boule et serrait la main de tous ceux qui s’inclinaient. On n’aurait pas pu dire à quoi il pensait. Il n’avait pas pleuré, et même il n’avait cessé de regarder les gens comme s’il n’eût été pour rien dans cet enterrement. Son beau-fils, mince et correct, avait les yeux rouges. On ne voyait pas le visage des femmes sous le crêpe.
Le cortège avait encombré tout Charenton. Derrière les deux chars de fleurs et de couronnes marchaient des centaines de mariniers bien lavés, bien peignés, vêtus de bleu, la casquette à la main.
Ils saluaient maintenant, un à un, en sortant du cimetière, et balbutiaient des condoléances, après quoi on les voyait se former gauchement en groupes et chercher un café. Ils avaient des gouttes de sueur au front. On les sentait moites dans les grosses vestes croisées.
Maigret était sur le trottoir d’en face, devant l’éventaire de la fleuriste, à se demander s’il allait rester encore.
Un taxi s’arrêta près de lui. Un de ses inspecteurs en sortit et le chercha.
— Ici, Lucas.
— Il ne s’est rien produit ? Je viens d’apprendre que ce matin à huit heures et demie le vieux Gassin a acheté un revolver chez un armurier de la Bastille.
Il était là, Gassin, à cinquante mètres encore de la famille en rang. Il suivait le flot sans parler à ses voisins, sans impatience, l’œil morne.
Maigret l’avait remarqué auparavant, car c’était la première fois qu’il le voyait endimanché, la barbe taillée, avec du linge et un complet neufs. Avait-il enfin cessé sa neuvaine d’ivrognerie ? En tout cas, il était plus digne, plus calme. Il ne grommelait plus de syllabes entre ses dents, et c’était même un peu inquiétant de le voir aussi digne.
— Tu es sûr ?
— Certain. Il s’est fait expliquer le maniement de l’arme.
Жалоба
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